lundi 16 novembre 2020

Reconstitution partielle d'un tableau de Carpaccio

Vittore Carpaccio (1465-1526) : 
Deux Dames vénitiennes (c. 1495 – Musée Correr, Venise). 
Sur bois. 94 x 64 cm

Nous savons qu'en 1830, ce panneau représentant deux femmes faisait partie de la collection de Teodoro Correr qui était composée de plus de mille pièces.

Ce tableau du musée Correr est devenu très célèbre au XIXe siècle, quand John Ruskin (critique d’art britannique) Iui a donné le titre accrocheur de « Deux courtisanes ». Les nombreux titres donnés à ce tableau révèlent l’énigme que constitue l’attitude des deux femmes. De plus, il est saturé de symboles.

Malgré les nombreuses études, on sait peu de choses sur ce tableau. La scène représentée a donné lieu à de nombreuses interprétations parfois contradictoires.

Cette peinture était considérée comme représentant deux courtisanes, cependant, les historiens de l'art modernes pensent qu'elles appartiennent plus probablement à la famille patricienne Torella, comme le suggèrent leurs beaux vêtements, leurs colliers de perles, et les armoiries qui figurent sur le pot d’où jaillit un lys blanc.

La scène représente deux dames vénitiennes oisives, assises sur un balcon entouré d’une balustrade de marbre ; elles attendent le retour de leur mari, parti chasser le gibier dans la lagune. La plus jeune, le regard figé dans le vide, mollement appuyée sur la balustrade, semble s’ennuyer, elle tient un mouchoir blanc (symbole ?). La plus âgée se distrait en jouant avec deux chiens : d’une main, elle soutient les pattes d’un petit chien, de l’autre, elle tend une baguette à ronger au plus grand.

Le troisième personnage est un jeune garçon, qui se tient curieusement à l’extérieur de la balustrade, et qui se penche pour caresser une paonne. Qui est-il ?

D’autres animaux sont présents ; si le couple de pigeons (tourterelles) peut symboliser une relation conjugale, la présence d’un perroquet et de la paonne est plus énigmatique. Sur la balustrade on remarque un fruit (pomme, orange, grenade ?) et deux pots : l’un contient un lys symbolise de pureté, et l’autre, un plant de myrte. Carpaccio a eu recours à une riche symbolique dont le sens est incertain.

Un autre objet attire l’attention : une paire de chaussures à hautes semelles, des calcagnetti, accessoire courant des femmes à cette époque. Venise ne possédait pas de rues pavées, ces chaussures permettaient aux femmes  de ne pas salir le bas de leurs vêtements et de ne pas se mouiller les pieds.

Une question se pose : A qui appartiennent-elles ? Le bas des robes des deux femmes est légèrement déformé, on peut deviner qu’elles portent leurs propres chaussures à semelles hautes. Les calcagnetti, présentes dans la composition, doivent donc appartenir à une autre dame, une troisième dame…

Vittore Carpaccio : Chasse dans la Lagune (c. 1495 - J. Paul Getty Museum, Los Angeles). 
Sur bois. 75,5 x 63,8 cm (en haut)
Vittore Carpaccio (1465-1526) : Deux Dames vénitiennes (c. 1495 – Musée Correr, Venise). 
Sur bois. 94 x 64 cm (en bas)

En 1963, intervient une découverte décisive. Le Getty Museum possède un tableau de Carpaccio intitulé "Scène de Chasse sur la Lagune" (il fut découvert par Busiri Vici en 1944 dans un marché d'antiquaires à Rome). Des chercheurs, intrigués par un lys qui apparaît bizarrement sur ce panneau, font le rapprochement avec le tableau du musée Correr. "La Chasse sur la lagune" est le prolongement supérieur du tableau avec les deux femmes, le lys établissant la continuité des deux scènes. Les deux tableaux appartiennent à un seul et même panneau de bois, sans doute découpé par un marchand d'art peu scrupuleux au XVIIIe siècle. La présence de charnières laisse à penser qu'il s'agissait d'une porte ou d'un élément de meuble, commandé pour des fiançailles ou un mariage.

Mais le grand chien coupé dans la partie inférieure permet de penser que la partie qui nous connaissons ne représente que la moitié de l'œuvre. A ce jour, le pendant  n'a pas été retrouvé. Les deux éléments étaient-ils articulés entre eux formant un diptyque sur les portes d'un meuble ?

Des historiens d’art ont tenté d’imaginer le panneau manquant ; une troisième femme, la propriétaire des calcagnetti, y figurait peut-être… Pour autant, les recherches relancées par cette avancée  ne permettent pas davantage de progresser dans l'identification des femmes.

Un détail étonnant. Au dos du panneau du musée Getty, figure une peinture en trompe-l’œil  Elle représente un cadre, avec divers morceaux de papiers, à cheval sur un ruban rayé, fixé aux montants par deux petits clous. Sur l'un des papiers, on peut lire le nom d'Andrea Mocenigo (sénateur et historien ?). Ce casier à lettres illusoire est la première peinture en trompe-l'œil connue dans l'art italien.

  

1 commentaire:

  1. Je regarde avec un plaisir manifeste ce tableau représentant une "Chasse dans la lagune " peint par V Carpaccio. Moins ennuyée certes que les deux dames vénitiennes dont la moue ennuyée et la chair lasse n'incite pas au plaisir de vivre ... même à Venise !
    Friande des explications apportées par notre " spécialiste - maison JLG, je replonge dans le décor vénitien de la vie la Sérénissime au XVeme . Carpaccio est l'un des peintres ,grand imagier, fabuleux conteur ... car chacune de ses toiles est un aperçu vivant de la ville où se reflètent les songes des amoureux de cette "città"à nulle autre pareille .

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