Vittore Carpaccio (1465-1526) :
Deux Dames vénitiennes (c. 1495 – Musée Correr, Venise).
Sur bois. 94 x 64 cm
Nous savons
qu'en 1830, ce panneau représentant deux femmes faisait partie de la collection
de Teodoro Correr qui était composée de plus de mille pièces.
Ce tableau
du musée Correr est devenu très célèbre au XIXe siècle, quand John Ruskin
(critique d’art britannique) Iui a donné le titre accrocheur de « Deux
courtisanes ». Les
nombreux titres donnés à ce tableau révèlent l’énigme que constitue l’attitude
des deux femmes. De plus, il est saturé de symboles.
Malgré les
nombreuses études, on sait peu de choses sur ce tableau. La scène représentée a
donné lieu à de nombreuses interprétations parfois contradictoires.
Cette
peinture était considérée comme représentant deux courtisanes, cependant,
les historiens de l'art modernes pensent qu'elles appartiennent plus
probablement à la famille patricienne Torella,
comme le suggèrent leurs beaux vêtements, leurs colliers de perles, et les
armoiries qui figurent sur le pot d’où jaillit un lys blanc.
La scène
représente deux dames vénitiennes oisives, assises sur un balcon entouré
d’une balustrade de marbre ; elles attendent le retour de leur mari, parti
chasser le gibier dans la lagune. La plus jeune, le regard figé dans le vide,
mollement appuyée sur la balustrade, semble s’ennuyer, elle tient un mouchoir
blanc (symbole ?). La plus âgée se distrait en jouant avec deux chiens
: d’une main, elle soutient les pattes d’un petit chien, de
l’autre, elle tend une baguette à ronger au plus grand.
Le
troisième personnage est un jeune garçon, qui se tient curieusement à l’extérieur
de la balustrade, et qui se penche pour caresser une paonne. Qui est-il ?
D’autres
animaux sont présents ; si le couple de pigeons (tourterelles) peut
symboliser une relation conjugale, la présence d’un perroquet et de la paonne
est plus énigmatique. Sur la balustrade on remarque un fruit (pomme, orange,
grenade ?) et deux pots : l’un contient un lys symbolise de pureté,
et l’autre, un plant de myrte. Carpaccio a eu recours à une riche symbolique
dont le sens est incertain.
Un autre
objet attire l’attention : une paire de chaussures à hautes semelles, des calcagnetti,
accessoire courant des femmes à cette époque. Venise ne possédait pas de rues
pavées, ces chaussures permettaient aux femmes
de ne pas salir le bas de leurs vêtements et de ne pas se mouiller les
pieds.
Une
question se pose : A qui appartiennent-elles ? Le bas des robes des
deux femmes est légèrement déformé, on peut deviner qu’elles portent leurs
propres chaussures à semelles hautes. Les calcagnetti, présentes dans la
composition, doivent donc appartenir à une autre dame, une troisième dame…
Vittore Carpaccio : Chasse dans la Lagune (c. 1495 - J. Paul Getty Museum, Los Angeles).
Sur bois. 75,5 x 63,8 cm (en haut)
Vittore Carpaccio (1465-1526) : Deux Dames vénitiennes (c. 1495 – Musée Correr, Venise).
Sur bois. 94 x 64 cm (en bas)
En 1963,
intervient une découverte décisive. Le Getty Museum possède un tableau de
Carpaccio intitulé "Scène de Chasse sur la Lagune" (il fut découvert par Busiri Vici en
1944 dans un marché d'antiquaires à Rome). Des
chercheurs, intrigués par un lys qui apparaît bizarrement sur ce panneau, font
le rapprochement avec le tableau du musée Correr. "La
Chasse sur la lagune" est le prolongement supérieur du tableau avec les deux
femmes, le lys établissant la continuité des deux scènes. Les deux tableaux appartiennent à un seul et même panneau de
bois, sans doute découpé par un marchand d'art peu scrupuleux au XVIIIe siècle.
La présence de charnières laisse à penser qu'il s'agissait d'une porte ou d'un
élément de meuble, commandé pour des fiançailles ou un mariage.
Mais le grand chien coupé dans la partie inférieure permet
de penser que la partie qui
nous connaissons ne représente que la moitié de l'œuvre. A ce jour, le pendant n'a pas été retrouvé. Les deux éléments étaient-ils articulés entre eux
formant un diptyque sur les portes d'un meuble ?
Des
historiens d’art ont tenté d’imaginer le panneau manquant ; une troisième
femme, la propriétaire des calcagnetti, y figurait peut-être… Pour autant, les recherches relancées par cette
avancée ne permettent pas davantage de progresser dans l'identification
des femmes.
Un détail
étonnant. Au dos du panneau du musée Getty, figure une peinture en
trompe-l’œil Elle représente un cadre,
avec divers morceaux de papiers, à cheval sur un ruban rayé, fixé aux montants
par deux petits clous. Sur l'un des papiers, on peut lire le nom d'Andrea
Mocenigo (sénateur et historien ?). Ce casier à lettres illusoire est la première peinture en
trompe-l'œil connue dans l'art italien.